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Diffusion des savoirs, Recherche - Valorisation

Savoirs et action économiques : l'inscription territoriale de l'action économique

le 17 mai 2010
14h30-17h30

Dans le cadre du séminaire "Savoirs et action économiques", conférence organisée par Alain Petitjean, directeur général de Sémaphores et Pierre Veltz, délégué ministériel au plateau de Saclay

La crise des années 2008-2009 est une dure mise à l'épreuve pour le savoir économique. Le très sérieux magazine The Economist y a consacré, à l'été 2009, un dossier spécial, qui met en cause sans ambages la trajectoire prise par la littérature économique depuis un quart de siècle, et s'est ainsi attiré les foudres du prix Nobel Robert Lucas, théoricien convaincu des anticipations rationnelles et de l'efficience des marchés. De fait, cette crise économique et financière est aussi une crise informationnelle. Même les analystes perspicaces des dérives financières au cours des dernières années (il y en a eu, dont il n'est pas difficile de retrouver les écrits) se sont trouvés démunis lorsqu'il aurait fallu disposer, en temps réel, d'indicateurs pertinents sur la précipitation de ces dérives.

Ce n'est pas seulement affaire de mauvaise technique comptable, c'est une profonde confusion existentielle sur la valeur économique et les droits attachés dans nos sociétés. La créativité de la comptabilité privée a pris le dessus sur la rigueur conceptuelle de la comptabilité nationale, tandis que l'imagination des financiers a permis de faire passer la captation de rentes pour de la création de valeur. C'est bien ce trouble profond dont rend compte Alain Desrosières dans un ouvrage récent (Gouverner par le nombre, 2008) lorsqu'il montre comment la fabrication d'un espace de commune mesure se heurte aujourd'hui à une concurrence entre plusieurs "angages de réalité", contraire à la cohésion sociale.

Le séminaire proposé entend explorer la voie suivante: «l'action économique», celle des dirigeants d'entreprises, mais aussi celle des acteurs syndicaux et des responsables politiques ou administratifs lorsqu'ils sont amenés à intervenir sur la marche des entreprises, mobilise des ressources cognitives (informations, savoirs, raisonnements), qui ne s'expriment pas toujours aisément dans les catégories et les raisonnements promus par la réflexion économique standardisée, telle qu'elle s'est développée dans les institutions académiques et administratives qui se consacrent à cette réflexion. Les experts et consultants «de terrain», qui interviennent auprès des directions d'entreprise et des syndicats, sont amenés à manier un savoir bien plus mixte, qui, sans renoncer aux ressources de l'analyse économique et financière, est nécessairement ouvert à l'expérience et au langage des acteurs eux-mêmes ainsi qu'aux disciplines qui ont leur mot à dire sur les comportements des acteurs économiques et sociaux (sociologie, gestion, ergonomie, ingénieurs, etc.). La mesure de l'efficacité productive, l'évaluation des conditions de travail, la mise en relation des performances économiques et sociales des entreprises sont autant de domaines où les analyses et leurs résultats sont profondément conditionnés par la nature des démarches cognitives mobilisées. L'action économique recourt à une pluralité de registres de rationalité et de justification: ce critère pragmatique n'est pas le même que celui de la pureté démonstrative, théorique ou empirique, que privilégie la littérature économique consacrée.

Ce cloisonnement des savoirs économiques n'est pas sans conséquences. Il a sans doute quelque chose à voir avec l'incapacité du savoir académique à avoir prise sur le cours de la vie économique, dont l'imprévisibilité de la crise actuelle est une manifestation crue. Et lorsque les logiques d'intérêt font sentir leur poids sur les orientations publiques, cette incapacité est plus qu'une faiblesse, c'est une aubaine pour les lobbyistes en tout genre: combien de déréglementations actées au nom de l'efficience des marchés ?

Il n'est pas sans intérêt de voir les Etats prendre conscience de leur vulnérabilité cognitive. Dans la première moitié du XXe siècle, les Etats ont pu être taxés d'ignorance économique. La macroéconomie keynésienne a d'abord été une entreprise d'instruction de l'Etat. Et, si les Etats ont limité en partie les dégâts de la crise actuelle, c'est parce qu'ils ont pu réactiver en urgence leur héritage keynésien. Le paradoxe, c'est que l'Etat néo-libéral est devenu un Etat savant, disposant de capacités d'analyse spécialisées, mobilisant des procédures d'évaluation complexes, des batteries détaillées d'indicateurs: il ne s'en est pas moins révélé impuissant face aux dérives économiques et financières des dernières décennies.

Les systèmes modernes d'information statistique, organisés dans un cadre national, sont parvenus, du moins dans les grands pays développés, à une certaine maturité. Mais, en même temps, ils apparaissent fortement déstabilisés (et les statisticiens professionnels souvent décontenancés) par les mutations des sociétés. Dans des sociétés où la puissance de l'informatique, l'accès généralisé à Internet, la diffusion accrue de la culture statistique diversifient les sources et les usages de l'information quantifiée, la statistique publique est sommée de sortir de sa forteresse, de se montrer plus réactive aux interpellations des acteurs sociaux et de l'opinion publique, d'accepter une certaine concurrence intellectuelle avec des sources privées qui se développent : la validation de l'information statistique passe davantage par cette mise à l'épreuve publique et ne peut reposer uniquement sur la confiance des statisticiens publics en la scientificité de leurs outils.

Une dimension particulière de cette déstabilisation concerne la mise en avant des indicateurs statistiques comme outils d'évaluation normative inclus dans des procédures d'expérimentation et de benchmarking, dont l'État néo-libéral est friand pour définir et appliquer des incitations adéquates sur les institutions et les personnes. C'est un enjeu qui suscite des controverses méritées. D'un côté, la notion d'indicateur statistique est banale : c'est la partie émergée de l'iceberg que constitue un système d'information statistique, de bons indicateurs tirent leur force de leur enracinement dans un système cohérent et les institutions statistiques ne manquent pas de critères techniques pour apprécier la qualité d'un indicateur ; de l'autre côté, un indicateur, qui devient indissociablement descriptif et normatif en tant qu'énoncé verbal portant sur la société, est pris dans des procédures politiques que le statisticien ne maîtrise plus guère et se coupe du système d'information dont il est issu : sa validation devient indéterminée et sujette aux fluctuations de l'opinion ou du pouvoir. Les "batteries d'indicateurs", si elles devaient s'imposer comme ersatz de systèmes d'information dûment organisés, ne seraient guère une avancée.
Type :
Séminaires - conférences
Lieu(x) :
Campus de Cachan
Salle Renaudeau - Bâtiment Laplace

Dates des prochaines conférences


Lundi 21 juin 2010
Des restructurations à la gestion prévisionnelle des emplois et des compétences : quel rapprochement ?
Frédéric Bruggeman (cabinet Amnyos), Claude Didry (IDHE)

Contacts


Christian Bessy, économiste, chercheur  CNRS à l'IDHE
Claude Didry, sociologue, chercheur  CNRS à l'IDHE
Jacky Fayolle, professeur associé à  l'ENS Cachan, directeur du Centre études et prospective du Groupe Alpha

Plus d'informations :
Institutions et dynamiques historique de l'économie (IDHE)

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